Ces dernières années, l’économie mondiale a fait preuve d’une résilience remarquable malgré les chocs majeurs auxquels elle a été soumise, parmi lesquels une pandémie et une crise énergétique. Cette année, la croissance mondiale est restée stable, tandis que l’inflation poursuivait son repli. Malgré une certaine réduction des tensions sur les marchés du travail, les taux de chômage restent proches de leur point bas historique dans de nombreux pays. Les échanges mondiaux se sont également redressés.
Selon nos projections, cette résilience va se confirmer, avec un PIB mondial qui progressera de 3.3 % en 2025 et 2026 et une inflation qui convergera vers les objectifs visés par les banques centrales. Toutefois, cette performance globale robuste masque des différences très nettes entre les régions et les pays, et elle s’accompagne d’importants risques de divergence à la baisse et d’incertitudes considérables. Plus précisément, on observe une montée des risques liés à l’intensification des tensions commerciales et du protectionnisme, à une possible escalade des conflits géopolitiques et aux défis auxquels font face les politiques budgétaires dans certains pays.
Lors des décennies passées, le commerce s’est avéré être un puissant moteur de croissance, qui a permis des créations d’emplois et le recul de la pauvreté dans le monde. Certes, tout n’est pas parfait, et les bénéfices des échanges ne sont pas toujours équitablement partagés. Cependant, la multiplication des tensions commerciales et des mesures protectionnistes pourrait perturber les chaînes d’approvisionnement, faire croître les prix à la consommation et avoir des conséquences négatives sur la croissance. De la même façon, une aggravation des tensions et des conflits géopolitiques pourrait perturber les échanges et les marchés de l’énergie, potentiellement contribuant à une hausse des prix de l’énergie.
Les finances publiques constituent une autre source de risque, dans la mesure où la dette publique reste élevée. Certaines économies de marché émergentes et certains pays à faible revenu sont aujourd’hui en situation de surendettement, ou risquent fortement de s’y trouver. Dans de nombreux autres pays, les difficultés budgétaires s’accumulent et la dette est importante. Les tensions croissantes liées à la hausse des dépenses militaires, au vieillissement démographique et à la transition écologique et énergétique ne font qu’amplifier ces enjeux. Par conséquent, les situations budgétaires sont tendues et risquent de compromettre la capacité des pouvoirs publics à réagir à de futures crises.
Dans les circonstances actuelles, le rôle de l’action publique est essentiel pour la gestion des risques et des efforts visant à asseoir les perspectives d’une croissance plus forte, résiliente et durable. Il faut pour cela agir de manière concertée sur le plan monétaire, budgétaire et structurel.
À mesure que les tensions inflationnistes vont poursuivre leur baisse, les banques centrales devraient continuer d’assouplir leur politique monétaire. Cela étant, la prudence reste de mise, et elles devront prendre en compte les nouvelles données qui leur parviendront et évaluer très précisément les mesures à prendre. Échouer à contenir durablement l’inflation ne ferait qu’accroître les risques pesant sur la croissance et les revenus réels.
Les pouvoirs publics doivent élaborer des stratégies crédibles de maîtrise des dépenses publiques. La prudence budgétaire s’impose, en raison du niveau élevé de la dette publique dans de nombreux pays et de la hausse des tensions sur les dépenses. La nécessité d’une politique budgétaire restrictive et les moyens de la mettre en œuvre diffèrent d’un pays à l’autre, mais les pouvoirs publics vont absolument devoir arbitrer entre la réduction des tensions budgétaires et l’impératif de préserver la croissance économique.
En outre, des efforts de réformes structurelles peuvent contribuer à redynamiser la croissance économique à moyen terme et à surmonter les difficultés budgétaires. Dans la présente édition des Perspectives économiques de l’OCDE, un chapitre spécial est consacré à un enjeu important auquel sont confrontées de nombreuses économies, à savoir la généralisation des pénuries de main-d’œuvre. De fait, les pénuries de main-d’œuvre et de compétences, qui augmentent depuis la dernière décennie, se sont accentuées pendant la pandémie. Même si on observe maintenant une certaine amélioration des conditions sur les marchés du travail, des pénuries continuent de toucher de nombreux secteurs de nos économies, notamment dans les secteurs de la santé, des soins de longue durée et des technologies de l’information. Ce phénomène, en particulier dans les secteurs à forte intensité technologique, freine le développement des entreprises ainsi que leur capacité à tirer parti d’innovations propices à la productivité comme l’intelligence artificielle ou la robotique.
Consacrer des efforts publics et privés conséquents au perfectionnement et à la formation des travailleurs, et réformer les systèmes d’éducation et d’apprentissage tout au long de la vie, sont autant de mesures essentielles pour doter la main-d’œuvre des compétences requises pour relever les enjeux présents et futurs. Il est possible de recourir aux politiques du marché du travail pour stimuler l’offre de main‑d’œuvre et améliorer la mobilité des travailleurs. Il sera essentiel de renforcer le taux d’activité des femmes ainsi que celui des jeunes et des seniors pour réduire les pénuries de main-d’œuvre et stimuler la croissance potentielle. À cet égard, il faudra impérativement prendre des mesures pour favoriser le vieillissement en bonne santé, améliorer les conditions de travail et investir dans des services de garde d’enfants abordables. Des politiques d’immigration adaptées, renforcées par de solides mesures d’intégration, peuvent aussi contribuer à alléger les pénuries de main-d’œuvre.
En résumé, même si l’économie mondiale devrait demeurer résiliente, les risques et les incertitudes demeurent élevés. Dans cet environnement difficile, il importe d’agir avec détermination, notamment de mener des réformes structurelles audacieuses et de poursuivre le dialogue multilatéral, pour faire face aux risques et continuer de promouvoir la hausse de la croissance et des niveaux de vie, partout dans le monde.
4 décembre 2024
Álvaro Pereira
Chef économiste de l’OCDE