Au cours des 24 dernières années, les systèmes de transport en Afrique du Nord et de l'Ouest sont devenus à la fois un atout stratégique et un champ de bataille contesté. Depuis la fin des années 2000, la violence ciblant les infrastructures de transport s'est intensifiée, sous l’effet des insurrections jihadistes et des rébellions en Afrique de l'Ouest et à la suite de la Première guerre civile libyenne en Afrique du Nord. Ce rapport, intitulé « Routes et conflits en Afrique du Nord et de l'Ouest », examine les liens entre les infrastructures de transport et la violence, en montrant comment ces systèmes sont profondément liés à la stabilité sociale, économique et politique. S'appuyant sur l'engagement de l'OCDE/CSAO en faveur d'analyses à plusieurs échelles, il propose un examen complet de ces dynamiques sur 24 ans dans 21 pays, en s'appuyant sur plus de 70 000 événements violents et 230 000 décès issus du projet ACLED (Armed Conflict Location and Event Data).
Cinq messages clés se dégagent du rapport :
1. Les infrastructures de transport sont à la fois un atout stratégique et une cible
Les infrastructures de transport jouent un double rôle dans les conflits de la région : elles soutiennent la gouvernance, l'activité économique et l'autorité de l'État, tout en constituant une cible fréquente pour les acteurs violents non étatiques. Les routes, les chemins de fer et les corridors de transport permettent aux gouvernements de déployer des troupes, de fournir des services et de maintenir le contrôle. Pourtant, ces mêmes réseaux sont exploités par des acteurs violents pour perturber la gouvernance, déstabiliser des régions et isoler des communautés. En Afrique du Nord, des réseaux de transport plus denses et mieux entretenus renforcent la souveraineté des États en limitant les points d'appui des insurgés. En revanche, les pays d'Afrique de l'Ouest sont confrontés à des défis de taille, où l'insuffisance des infrastructures laisse des brèches que les insurgés peuvent exploiter en recourant à des tactiques mobiles et agiles.
2. La violence se concentre près des routes
Environ 70 % des événements violents et 65 % des décès en Afrique du Nord et de l'Ouest se produisent à moins d'un kilomètre d'une route. Cette tendance s'applique à tous les types de routes, mais elle est plus prononcée à proximité des autoroutes et des routes principales. Les conséquences sont les plus graves dans le Sahel central, le bassin du lac Tchad et l'ouest du Cameroun, où les réseaux clairsemés et le mauvais état des routes rendent les infrastructures de transport très vulnérables aux attaques. Les civils sont particulièrement exposés aux conséquences de la violence ciblant les routes, avec des embuscades, des enlèvements et des barrages.
3. Une évolution vers la violence à distance
En Afrique de l'Ouest, les insurgés déplacent de plus en plus leurs opérations vers les zones reculées et les petits centres urbains, déstabilisant ainsi les régions rurales et étendant leur influence. Cette tendance se traduit par une diminution de la proportion d'événements violents se produisant à moins d'un kilomètre d'une route, passant de 86 % en 2011 à 61 % en 2023. En Afrique du Nord, cependant, plus de 80 % des événements violents se produisent toujours à proximité des routes, ce qui reflète la nature plus urbaine des conflits dans la région. Malgré cette tendance à l'éloignement de la violence en Afrique de l'Ouest, les routes conservent une importance stratégique, de nombreux points chauds se situant à moins quatre kilomètres des principaux axes de transport.
4. Les principaux axes de transport sont des points névralgiques de la violence
Les principaux corridors de transport dans les régions touchées par les conflits, telles que le Sahel central, le bassin du lac Tchad et l'ouest du Cameroun, sont devenus des épicentres de la violence. Ces routes, vitales pour le commerce et la connectivité, sont régulièrement prises pour cible, ce qui a pour conséquence de perturber le commerce, d'isoler les communautés et d'affaiblir l'autorité de l'État. Ces points chauds du conflit soulignent le double rôle des voies de transport, à la fois lignes de vie pour les communautés et champs de bataille critiques dans les conflits en cours. Leur importance stratégique souligne la nécessité urgente de coordonner les efforts pour protéger ces corridors et atténuer leur vulnérabilité à la violence.
5. La guerre mobile modifie la dynamique des conflits
Les groupes djihadistes s'appuient de plus en plus sur des motos et des véhicules légers pour naviguer sur des terrains difficiles et déjouer les forces de l'État, plus lentes et lourdement blindées. Cette mobilité tactique permet aux insurgés d'exploiter les faiblesses des réseaux de transport, de tendre des embuscades sur les itinéraires clés et d'échapper aux ripostes militaires. À l'inverse, la dépendance des forces de l'État à l'égard de bases fixes et d'itinéraires de transport prévisibles les rend vulnérables à des tactiques très mobiles.
Les conclusions de ce rapport soulignent le rôle essentiel des infrastructures de transport dans la dynamique des conflits et la promotion de la stabilité en Afrique du Nord et de l'Ouest. Le renforcement de la sécurité et de la résilience nécessite des stratégies qui donnent la priorité aux investissements dans des réseaux de transport robustes, à la protection des populations civiles et au soutien ciblé des régions périphériques. Une approche holistique, qui combine des mesures de sécurité avec le développement des infrastructures, la coopération transfrontalière et l'intégration économique, est essentielle pour remédier aux vulnérabilités et libérer le potentiel des systèmes de transport. Cela permettrait de favoriser la stabilité et le développement durable dans les zones touchées par les conflits.
Ce besoin est d'autant plus urgent que les conflits continuent de s'étendre à des pays côtiers comme le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Togo. Comme le montre le rapport, une fois que les conflits s'installent, ils ont tendance à persister et à renforcer l'instabilité au fil du temps. Ces tendances soulignent l'importance cruciale d'efforts régionaux coordonnés pour préserver les infrastructures de transport, remédier aux vulnérabilités systémiques et s'attaquer aux facteurs sous-jacents de l'instabilité. Ce faisant, la région peut jeter les bases d'une paix et d'une prospérité durables.