La reprise au sortir de la pandémie de COVID‑19 a exacerbé des pénuries de main-d’œuvre qui n’allaient déjà qu’en s’aggravant dans tous les pays de l’OCDE depuis la crise financière mondiale de 2008. Le regain d’activité, conjugué avec une offre de main-d’œuvre affaiblie par des effets en grande partie temporaires liés à la pandémie, notamment le retrait des seniors du marché du travail (Duval et al., 2022), a fortement contribué à accentuer les tensions sur le marché du travail. À l’heure actuelle, la baisse du taux de vacances d’emploi et la lente remontée du taux de chômage dans quelques pays de l’OCDE tendent à indiquer que la phase de fortes tensions cycliques sur le marché du travail est pour l’essentiel terminée (voir Chapitre 1). Les pénuries de main-d’œuvre et de compétences n’en demeurent pas moins très aiguës, surtout dans des secteurs aussi cruciaux que la santé et l’information-communication. De nouvelles données livrées par l’enquête du Forum mondial de l’OCDE sur la productivité (GFP) auprès des employeurs révèlent la nature et les causes structurelles sous-jacentes des pénuries de main-d’œuvre persistantes ainsi que leurs variations selon l’âge, le niveau de productivité et les conditions de travail des entreprises.

Des changements structurels et technologiques – vieillissement démographique, essor de l’intelligence artificielle (IA) et transitions écologique et numérique – viennent amplifier les pénuries de main-d’œuvre. Côté demande, ces transitions et l’adoption croissante de l’IA transforment la demande de compétences dans tous les secteurs (Dorville, Filippucci et Marcolin, 2024; Draghi, 2024). Côté offre, les mesures prises pour accroître le taux d’activité des groupes sous-représentés, plus particulièrement des seniors, des migrants et des femmes, pourraient contribuer à atténuer les pénuries de main-d’œuvre, mais le vieillissement démographique continue de ralentir la croissance de la population d’âge d’actif. À mesure que la main-d’œuvre vieillit et que le progrès technologique s’accélère, l’inadéquation des compétences sur le marché du travail s’aggrave du fait, entre autres, de leur obsolescence de plus en plus rapide. À ce problème s’ajoute un ralentissement de l’accumulation de capital humain, illustrée par la baisse des résultats scolaires. D’autre part, la piètre qualité des emplois dans certains secteurs en tension, sur le plan tant de la rémunération que des conditions de travail, les rend moins attrayants aux yeux des travailleurs ; un problème particulièrement prononcé dans les services d’hébergement et de restauration, le transport et l’entreposage, et la santé et la protection sociale (OCDE, 2018a; Causa et al., 2022, 2024a).

Les différents aspects des pénuries de main-d’œuvre peuvent être décrits dans un cadre stylisé où l’interaction de l’offre et de la demande détermine les salaires et la qualité des emplois et conduit à des pénuries de manin d’œuvre en présence de frictions sur le marché du travail et de problèmes d’inadéquation (graphique 2.1). Ce cadre est censé faciliter l’interprétation des observations présentées dans ce chapitre et résume les nombreux effets de rétroaction entre différents aspects. Par exemple, les pénuries de main-d’œuvre peuvent retentir sur la cadence des évolutions structurelles étant donné que l’adoption de certaines technologies nécessite des compétences particulières. De même, les pénuries peuvent améliorer le pouvoir de négociation des travailleurs et tirer ainsi les salaires vers le haut, surtout dans les marchés caractérisés par le pouvoir de monopsone des entreprises (Naidu et Dube, 2024).

Les pénuries cycliques de main‑d’œuvre se sont en grande partie résorbées, mais les pénuries structurelles demeurent aiguës et les pouvoirs publics doivent prendre des mesures décisives pour mieux aligner l’offre de main-d’œuvre sur la demande et améliorer l’appariement entre les deux. Des investissements publics et privés conséquents dans le perfectionnement, le recyclage et les réformes des systèmes d’éducation et d’apprentissage tout au long de la vie sont essentiels pour équiper la main-d’œuvre des compétences nécessaires. Les politiques publiques doivent veiller à ce que les élèves et les travailleurs acquièrent les compétences techniques et les aptitudes relationnelles nécessaires pour s’adapter aux défis de demain. De multiples politiques du marché du travail peuvent être mises en œuvre pour accroître la mobilité et améliorer l’efficacité de l’appariement. Le renforcement des synergies avec les politiques d’action sur la demande est crucial si l’on veut que des travailleurs possédant les compétences appropriées soient disponibles pour faciliter l’adoption des technologies et faire progresser les transitions numérique et écologique. Le taux d’activité, en particulier des seniors, des femmes et des jeunes, peut être encore augmenté par le biais de mesures visant à favoriser le vieillissement en bonne santé, à améliorer les conditions de travail, à mettre en place des initiatives favorables à l’égalité entre les genres (ex. des services d’accueil des jeunes enfants à des prix abordables) et à mieux faciliter le passage de l’école à la vie active. L’amélioration de la qualité de l’emploi pour attirer des travailleurs vers certaines professions demeure d’une importance vitale. L’immigration, à condition d’être étayée par des politiques d’intégration robustes, peut également contribuer à atténuer les pénuries de main-d’œuvre.

Dans cette perspective, ce chapitre s’appuie sur les nouvelles conclusions de l’enquête du GFP auprès des employeurs, complétées par les données administratives, pour examiner l’intensité et la nature des pénuries de main-d’œuvre et de compétences dans les pays de l’OCDE, avant de tracer les grandes lignes des mesures susceptibles de les atténuer. La section qui suit cette introduction s’intéresse à l’évolution récente des tensions sur le marché du travail en s’appuyant sur des données macroéconomiques et sectorielles. La troisième section présente les données au niveau des entreprises tirées de l’enquête sur l’aspect structurel des pénuries de main-d’œuvre et leur rapport avec la transformation numérique, notamment la pénétration de l’IA, et la transition écologique. Elle montre en outre que les pénuries de main-d’œuvre varient selon l’âge des entreprises, leur productivité et leurs conditions de travail. Enfin, la dernière partie attire l’attention sur le besoin de mesures gouvernementales porteuses de transformations pour remédier aux pénuries de main-d’œuvre.

Le rapport nombre d’emplois vacants/nombre de chômeurs est un indicateur courant des pénuries de main-d’œuvre. Les tensions1 se sont accentuées pendant la période de reprise au sortir de la pandémie de COVID‑19, sous l’effet principalement de facteurs temporaires : mesures de soutien aux travailleurs et aux entreprises sans précédent, rétention de main-d’œuvre par les entreprises, sorties du marché du travail liées à la pandémie, réductions du temps de travail, évolution des préférences des travailleurs et inadéquations causées par des inflexions dans la structure de la demande, notamment entre les biens et les services (Causa et al., 2022, 2024a; Duval et al., 2022; Doornik et al., 2023). À la fin de 2023, le nombre d’emplois vacants par chômeur avait retrouvé son niveau d’avant la pandémie aux États-Unis, dans la zone euro et au Japon, laissant entrevoir une baisse de la variation cyclique des pénuries de main-d’œuvre (graphique 2.2)2.

La courbe de Beveridge est une représentation graphique du lien entre le taux de chômage et le taux d’emplois vacants dans une économie, à plusieurs moments donnés. Elle confirme la nature essentiellement structurelle des pénuries de main-d’œuvre actuelles. Les déplacements de la courbe de Beveridge vers l’extérieur aux États-Unis et dans la zone euro après la crise financière mondiale de 2008 suggèrent un appariement moins efficace sur le marché du travail (graphique 2.3)3. Aux États-Unis, ce déplacement a été lié à une inadéquation des compétences de plus en plus prononcée, à l’essoufflement des efforts de recrutement des employeurs et à l’augmentation de la proportion de chômeurs de longue durée qui ont davantage de difficultés à s’extirper du chômage (Barlevy et al., 2024). Dans la zone euro, il est en partie attribué à la fois à l’inadéquation des compétences et à une plus forte dispersion géographique du chômage. Un déplacement comparable s’est produit au Japon sous l’effet de l’éclatement de la bulle spéculative au début des années 1990, les inadéquations formation/emploi ayant joué un rôle important (Shibata, 2013). Bien que la courbe de Beveridge se soit déplacée aux États-Unis et dans la zone euro pendant la pandémie et au début de la période de reprise, les taux actuels d’emplois vacants et de chômage ont renoué avec leurs niveaux antérieurs. Une analyse plus approfondie souligne l’influence majeure de facteurs structurels sur les variations des tensions sur le marché du travail au niveau des pays et des secteurs dans les dix dernières années (encadré 2.1).

La croissance du nombre d’emplois vacants (la demande de main-d’œuvre) est une des principales causes de la hausse des tensions sur le marché du travail entre 2010 et 2022, mais il ne faut pas négliger la part jouée par la baisse du taux de chômage ni l’effet modérateur de la hausse du taux d’activité (l’offre de main-d’œuvre). La demande de main-d’œuvre est forte depuis la reprise consécutive à la crise financière mondiale de 2008, et la reprise qui a suivi la pandémie de COVID a été marquée par une forte augmentation des emplois vacants. En 2022, les emplois vacants avaient cependant renoué avec des niveaux proches de ceux enregistrés avant la pandémie (graphique 2.5). Le taux d’activité, perturbé par la pandémie de COVID, s’est depuis rétabli dans la plupart des pays de l’OCDE et a dépassé le niveau de 2010 (graphique 2.6). Bien que le vieillissement ait ralenti la croissance de l’offre de main-d’œuvre, le taux d’activité des seniors a atteint un niveau record dans de nombreux pays de l’OCDE. D’autre part, les flux migratoires sont venus renforcer l’offre de main-d’œuvre dans certains pays et ont contribué à atténuer l’effet des tendances démographiques.

Le rôle des facteurs du côté de la demande transparaît dans les estimations des schémas sectoriels d’évolution des tensions. Dans les secteurs hautement qualifiés (activités financières, TIC et services professionnels), les tensions se sont plus accentuées que dans les autres (graphique 2.7)4. De même, les données internationales sur les pénuries de compétences au niveau des professions montrent que les pénuries sont plus importantes dans les professions hautement qualifiées (OCDE, 2022). Ce constat tient en partie au fait que les emplois dans les secteurs à forte intensité de compétences nécessitent un capital humain plus élevé, que le développement du capital humain nécessite temps et efforts, et qu’il s’agit souvent d’un capital humain spécifique selon le secteur. À l’inverse, la hausse des pénuries de main-d’œuvre dans les secteurs à faible intensité de compétences après la pandémie traduit plutôt le fait que la demande de personnel a rattrapé son retard après le choc et limité la croissance de la production (OCDE, 2023a, 2024a). Cette montée était essentiellement terminée en 2023, bien que des pénuries de main-d’œuvre persistent dans certains secteurs qui demeurent caractérisés par de mauvaises conditions de travail et une faible rémunération.

On constate, sur la période 2010-2022, une corrélation positive et significative entre la variation des tensions sur le marché du travail et de la rémunération réelle de la main-d’œuvre dans l’ensemble des pays de l’OCDE et des secteurs économiques. La croissance des salaires réels par salarié n’a toutefois pas suivi l’accentuation des tensions sur le marché du travail dans la plupart des secteurs (graphique 2.8). Malgré des pénuries aiguës de main-d’œuvre en début de phase de reprise au sortir de la pandémie, la hausse des salaires réels est restée relativement atone à l’exception de quelques plus petits pays (graphique 2.9). Plusieurs facteurs pourraient expliquer la réaction atone des salaires aux pénuries de main-d’œuvre, outre l’effet de lents ajustements des salaires nominaux sur l’inflation. Certaines entreprises ont probablement estimé que la demande accrue de leurs produits ou services n’était que temporaire. Étant donné qu’il est difficile de faire marche arrière si les conditions économiques se dégradent, les entreprises hésitent à augmenter les salaires en période d’incertitude. L’embauche de travailleurs à haut salaire à cause du manque d’offre actuel peut également créer des tensions au sein de la structure salariale de l’entreprise. Enfin, certaines entreprises peuvent encore exercer un certain pouvoir de monopsone. Par exemple, 16 % des personnels d’entreprises dans 15 pays de l’OCDE sont dans des marchés du travail au moins modérément concentrés (Araki et al., 2022; US Bureau of Labor Statistics, 2024). Les tensions aiguës sur le marché du travail ont néanmoins probablement affaibli le pouvoir de monopsone des entreprises (Naidu et Dube, 2024). Contrairement aux évolutions passées, les salaires des travailleurs peu qualifiés ont augmenté plus vite que la moyenne après la pandémie. Ce constat témoigne d’une augmentation salariale dans des secteurs particulièrement touchés par les pénuries de main-d’œuvre et d’une augmentation du salaire minimum légal (Autor, Dube et McGrew, 2023; OCDE, 2023).

L’OCDE a recueilli de nouvelles données sur les pénuries de main-d’œuvre au niveau des entreprises en 2024 (encadré 2.2). Elles couvrent 34 pays de l’OCDE, le Brésil et l’Afrique du Sud et sont à la fois comparables et représentatives. Ces données livrent des indications actuelles et détaillées au sujet des domaines de l’économie confrontés à des goulets d’étranglement, permettant ainsi aux décideurs de concevoir des interventions ciblées. Elles font ressortir simultanément les tensions créées par la demande des entreprises sur le marché du travail, les compétences recherchées, tout en indiquant si le marché du travail donne ou non aux travailleurs des profils qui correspondent aux besoins des entreprises. Contrairement aux données administratives sur les emplois vacants et le chômage, l’information sur les pénuries de main-d’œuvre des entreprises explique les difficultés de recrutement, même lorsque les offres d’emploi ne sont pas explicitement ouvertes, ou lorsqu’un poste vacant est enfin pourvu, mais par un candidat sous-qualifié5.

L’enquête révèle que les pénuries sont répandues et aiguës dans tous les pays (graphique 2.10). Les entreprises devaient indiquer si elles rencontraient des difficultés de recrutement et, le cas échéant, si ces difficultés étaient particulièrement graves (c’est-à-dire si elles avaient des difficultés à pourvoir la plus grande partie ou la totalité des postes vacants). Entre 70 % et 85 % des entreprises ont fait état de difficultés de recrutement de personnel compétent, et ce plus particulièrement au Costa Rica et en Israël. D’autre part, 15 à 30 % des entreprises ont fait état de pénuries aiguës ; au moins un tiers des entreprises en Allemagne, Autriche, Norvège et Slovénie ont déclaré être confrontées à de telles difficultés.

Bien que les secteurs les plus durement touchés par des pénuries de main-d’œuvre varient suivant les pays, il s’agit le plus souvent de la santé, des TIC, de l’industrie et des services professionnels et administratifs (graphique 2.11). Dans quelques pays, comme l’Allemagne, des pénuries de main-d’œuvre aiguës sont signalées dans tous les secteurs. Aux États-Unis, en revanche, elles sont concentrées dans des secteurs particuliers, notamment l’industrie et les TIC. Ces variations traduisent des différences quant à la dépendance des secteurs à l’égard des technologies et à leur demande de compétences et de professions spécifiques. Par exemple, le secteur des services de TIC, l’un des premiers à adopter l’IA (Calvino et Fontanelli, 2023), fait état de pénuries persistantes de professionnels spécialisés en logiciels (OCDE, 2024c). Dans le secteur de la santé, les pénuries structurelles de longue durée sont dues au vieillissement de la population, qui fait monter la demande, ainsi qu’à de mauvaises conditions de travail, qui restreignent l’offre. D’autres secteurs, comme l’hébergement et les services de restauration ou encore la construction, connaissent des pénuries à cause de la pénibilité du travail ou de la faible rémunération.

Les données de l’enquête du GFP auprès des employeurs font apparaître que les pénuries sont plus fréquentes pour les entreprises des secteurs très rémunérateurs (graphique 2.12) et plus encore si les entreprises cherchent à pourvoir des postes nécessitant des études supérieures6. Ce tri explique probablement les fortes pénuries connues par les entreprises très rémunératrices. L’éducation a toujours justifié un salaire plus élevé, et la part de travailleurs très qualifiés dans les entreprises très rémunératrices est plus élevée que dans les entreprises au bas de l’échelle de rémunération. Cette situation tient soit au fait que les travailleurs très qualifiés sont de plus en plus regroupés dans les mêmes entreprises à mesure que celles-ci deviennent plus spécialisées, soit au fait que les entreprises plus performantes pratiquent des salaires plus élevés pour attirer de meilleurs travailleurs (OCDE, 2021a).

Dans la majorité des pays, au moins 40 % des entreprises en pénurie de main-d’œuvre signalent une évolution des besoins en compétences, soit une proportion nettement supérieure à celle des entreprises sans pénurie (graphique 2.13). Cette différence est particulièrement prononcée au Danemark, en Hongrie et en Suède. Des changements de produits ou services, des changements d’intrants ou de nouveaux investissements dans des actifs corporels ou incorporels peuvent modifier la nature des tâches exécutées par les travailleurs (Autor, 2013). À leur tour, ces changements modifient les connaissances et les compétences recherchées par les entreprises dans leurs effectifs.

Parmi les entreprises qui ouvrent des postes en raison de l’évolution de leurs besoins en compétences, les pénuries de compétences sont essentiellement liées aux tendances structurelles (graphique 2.14). Les compétences numériques et vertes sont les plus recherchées, suivies par les compétences sociales et de communication, lesquelles sont souvent complémentaires des compétences numériques (Grundke et al., 2018). Les entreprises au Brésil, en Türkiye et en Afrique du Sud, font état de difficultés particulièrement fréquentes à trouver à la fois des compétences vertes et des compétences numériques. Les compétences vertes sont également en forte pénurie aux États-Unis et en Italie, tandis que les entreprises suisses signalent d’importantes pénuries de compétences numériques.

La transition écologique nécessite de plus en plus un sous-ensemble spécifique de compétences et donnera lieu à des redéploiements. Si l’on s’attend à ce que l’incidence de la transition écologique sur le nombre total d’emplois soit modeste, le redéploiement de main-d’œuvre nécessaire, des secteurs pollueurs vers les secteurs verts, sera pour sa part considérable (Causa et al., 2024b; OCDE, 2024a). Les travailleurs plus instruits ont plus de chances d’exercer des emplois verts que ceux dont le niveau d’instruction est intermédiaire ou faible. Ces derniers, surreprésentés dans les emplois bruns, sont plus menacés de déplacement par la transition écologique (Causa, Nguyen et Soldani, 2024a, b). Les travailleurs diplômés de l’enseignement supérieur employés dans les secteurs fortement émetteurs peuvent passer relativement aisément à des emplois portés par la transition écologique compte tenu de la similarité des compétences nécessaires. Les travailleurs peu et moyennement qualifiés, quant à eux, sont confrontés à des déficits de compétences importants et doivent beaucoup plus se recycler (OCDE, 2024a). Des pénuries peuvent également se produire parce que les salaires et la sécurité de l’emploi sont faibles dans les emplois verts et que les diplômés en science, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM) optent plutôt pour des secteurs plus rémunérateurs, mais aussi à cause des décalages géographiques entre les secteurs en déclin et les secteurs en expansion (encadré 2.3).

Au cours des deux dernières décennies, la transition numérique a transformé les marchés du travail et les compétences requises.7 Si la transformation numérique automatise certains emplois, elle en crée d’autres dans les TIC, mais aussi dans d’autres secteurs, grâce aux gains de productivité et de compétitivité, à la baisse des prix et en facilitant la création de nouveaux produits.

La diffusion de l’IA pourrait influer plus encore sur la demande de main-d’œuvre et de compétences de différentes façons. L’IA pourrait atténuer les pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs et les aggraver dans d’autres (Dorville, Filippucci et Marcolin, 2024). D’un côté, l’IA pourrait automatiser un large éventail de tâches existantes, y compris de tâches cognitives, et dépasser ainsi l’automatisation des emplois principalement manuels observée jusqu’à présent. En tant que technologie générique, l’IA devrait se répandre dans un grand nombre de secteurs d’activité, dont ceux qui seront probablement les plus touchés sont les services à forte intensité de connaissances : finance, publicité, conseil et TIC. De l’autre côté, dans de nombreux secteurs, l’IA devrait être complémentaire de l’activité humaine et non pas la remplacer, au moins à moyen terme, car elle créera de nouvelles tâches et pourrait donner naissance à de nouveaux emplois. Les gains de productivité portés par l’IA pourraient par ailleurs relever les niveaux de revenu, ce qui soutiendrait la demande globale qui, à son tour, intensifierait la demande de main-d’œuvre et les pénuries dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre ; un enchaînement d’effets comparables à ceux de la transformation numérique (Filippucci et al., 2024).

Il ressort des nouvelles données tirées de l’enquête du GFP auprès des employeurs que les entreprises dont la technologie de production évolue risquent davantage de se heurter à des difficultés de recrutement (graphique 2.15). En Suisse, au Danemark et en Norvège, par exemple, la probabilité de faire état d’une pénurie pour les entreprises qui investissent dans l’IA, la robotique ou les technologies numériques est entre 40 et 50 points de pourcentage supérieure à celle des entreprises qui ne font pas cet investissement8. L’analyse économétrique valide la conclusion que la probabilité de pénurie augmente avec l’évolution des technologies des entreprises, indépendamment du secteur ou du pays, même lorsque d’autres caractéristiques de l’entreprise généralement associées avec les comportements de recrutement (taille, âge, changements de chiffre d’affaire) sont prises en compte (Filippucci, Laengle et Marcolin, à paraître).

D’autre part, le vieillissement démographique freinera la croissance de la main-d’œuvre dans les décennies à venir dans la plupart des pays de l’OCDE. Selon les projections, la part de la population d’âge actif dans la population totale devrait diminuer entre 2020 et 2050 dans tous les pays de l’OCDE, à l’exception d’Israël et du Mexique (André, Gal et Schief, 2024), jusqu’à 15 à 20 % par rapport au niveau enregistré en 2021 dans certains pays. La population d’âge actif devrait même se contracter en termes absolus dans plus de la moitié des pays de l’OCDE et dans quelques pays émergents, notamment la Chine. Le vieillissement démographique risque aussi d’aggraver les pénuries de main-d’œuvre par l’obsolescence des compétences. Les secteurs d’activité exposés à une évolution technologique rapide, comme les TIC, pourraient davantage peiner à recruter des travailleurs qualifiés que d’autres secteurs à moindre intensité de technologie, comme l’éducation, à mesure que la population active avance en âge. Arpaia et Halasz (2023) démontrent que les pénuries ont augmenté avec le taux de dépendance des personnes âgées dans l’ensemble de l’UE entre 2000 et 2022. De même, Dorville, Filippucci et Marcolin (2024) montrent que les tensions sur le marché du travail sont plus aiguës dans les secteurs les plus exposés au vieillissement ainsi qu’aux transitions écologique et numérique, et qu’elles se sont davantage accentuées dans les secteurs plus exposés entre 2010 et 2019.

L’immigration pourrait contribuer à atténuer les pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs, à condition que des mesures d’intégration efficaces soient en place. Dans bon nombre de pays, ce sont les travailleurs nés à l’étranger qui ont le plus contribué à la croissance de la main-d’œuvre ces dix dernières années. Les immigrés sont surreprésentés dans le secteur de l’hébergement et de la restauration, dans celui de la construction et, dans quelques pays, dans le secteur de la santé (Causa et al., 2024a). L’immigration comme seul remède aux pénuries de main‑d’œuvre a cependant ses limites. Quelques pays ont perdu des travailleurs à cause de l’émigration, notamment des professionnels très qualifiés. Par ailleurs, des flux d’immigration massifs seraient nécessaires pour compenser l’effet du vieillissement dans la plupart des pays. Le solde migratoire requis pour stabiliser le taux de dépendance des personnes âgées dans l’ensemble de l’OCDE se situerait aux alentours de 2 % de la population par année jusqu’en 2050, à comparer avec une moyenne de 0.3 % environ par an pour la période 2000-20 (André, Gal et Schief, 2024).

Les pénuries de main-d’œuvre sont également déterminées par les caractéristiques des entreprises. Comme indiqué plus haut, les entreprises des secteurs en pleine transformation technologique sont souvent confrontées à des pénuries aiguës de compétences, causées par leurs investissements en technologie et l’inadéquation entre les personnels disponibles et les nouvelles compétences requises. Les caractéristiques démographiques des entreprises, c’est-à-dire leur taille et leur âge, interviennent également dans leurs schémas de recrutement, leurs besoins en compétences et leur demande de main-d’œuvre. Par exemple, les petites entreprises ont plus de difficulté à attirer des talents que les plus grandes, lesquelles ont l’avantage sur le plan de la stratégie d’image de l’employeur et des ressources (Commission européenne, 2023). Ces différences peuvent aider les décideurs à mieux cerner les causes sous-jacentes des pénuries de main-d’œuvre et à trouver des solutions pour améliorer l’adéquation entre la main-d’œuvre et les besoins des entreprises et de l’économie en général.

Les jeunes entreprises ont tendance à connaître des pénuries plus aiguës, indépendamment du secteur et du pays (graphique 2.16), probablement parce qu’elles ne peuvent pas offrir la même notoriété et les mêmes réseaux et avantages que les entreprises plus établies. D’où leur difficulté à se défendre sur le marché du travail, en particulier pour attirer des travailleurs expérimentés. Filippucci, Laengle et Marcolin (à paraître) montrent que les jeunes entreprises sont plus susceptibles que les plus anciennes d’adopter une nouvelle technologie numérique, ce qui pourrait exacerber plus encore leurs difficultés de recrutement. Enfin, parce qu’elles disposent de ressources financières limitées pour investir dans des programmes de formation et des possibilités d’apprentissage, elles peuvent difficilement développer les compétences de leurs salariés en interne. Le fait de devoir embaucher des travailleurs déjà qualifiés peut intensifier leurs difficultés de recrutement. Par conséquent, les pénuries de main-d’œuvre risquent de freiner également le développement de leur activité et de décourager l’entrée de nouvelles entreprises sur le marché.

Le rapport entre les pénuries de main-d’œuvre et la productivité (mesurée par le chiffre d’affaire par salarié) est négatif (graphique 2.17). Les entreprises moins productives n’offrent généralement pas des salaires compétitifs, n’investissent pas dans la formation de leurs salariés et n’offrent pas non plus de bonnes conditions de travail, ce qui les rend moins attrayantes aux yeux des candidats à l’emploi. Leurs pratiques de gestion peuvent être moins efficaces et se traduire par des stratégies de recrutement elles aussi moins efficaces et qui contribuent à leurs difficultés d’embauche. En effet, les entreprises moins productives risquent davantage de connaître des pénuries à cause de salaires trop bas et de mauvaises conditions de travail (graphique 2.18). Elles sont aussi plus susceptibles de déclarer que les pénuries entraînent des pertes de production et notamment la réduction de l’innovation.

À l’inverse, les entreprises à forte productivité font plus généralement état de pénuries à cause d’un manque de travailleurs possédant les compétences nécessaires (graphique 2.18). En tenant compte du secteur et du pays de production, une productivité du travail supérieure d’un écart type augmente de 7 % la probabilité de manquer de travailleurs possédant les compétences appropriées par rapport à l’entreprise moyenne dans l’échantillon. Les entreprises à forte productivité sont plus susceptibles de réagir aux pénuries par un investissement dans l’automatisation, dans la formation et dans la réorganisation interne (« meilleures pratiques de gestion »), lequel peut contribuer à réduire les pénuries de main-d’œuvre à moyen terme. À mesure que le coût des pénuries pour les entreprises à faible productivité s’alourdira, l’écart de productivité entre les plus et les moins productives risque de se creuser et de contribuer ainsi à la persistance des pénuries de main-d’œuvre dans le temps.

Plus généralement, les pénuries peuvent être causées par les mauvaises conditions de travail qui caractérisent les emplois dans certaines entreprises et dans certains secteurs. Une proportion importante d’entreprises dans les pays de l’OCDE connaissent des pénuries à cause de la piètre qualité des conditions de travail proposées (graphique 2.19). En moyenne dans tous les pays, environ 40 % des entreprises de transport signalent des pénuries à cause des horaires longs et atypiques imposés par ce travail. Cette proportion est encore plus forte si l’on considère les pénuries aiguës. Des conditions géographiques défavorables sont une autre raison importante de pénuries pour 37 % des entreprises du secteur extractif, mais pour 17 % seulement des entreprises du secteur des arts et spectacles. Le secteur de l’hébergement, mais aussi celui de la santé, connaissent des pénuries parce que les emplois manquent d’attrait pour les candidats potentiels ; ce qui pourrait tenir aux risques pour la santé physique et mentale que le traitement économique ne compense pas. Dans ces emplois de faible qualité, les femmes et les immigrés sont généralement surreprésentés (encadré 2.4).

Cette section porte sur les démarches générales visant à influencer l’offre de main-d’œuvre et de compétences, et plus particulièrement sur les stratégies à mener pour améliorer la disponibilité de travailleurs qualifiés dans l’économie. Elle examine les mesures qui aident les personnes à acquérir les compétences nécessaires pour satisfaire les demandes du marché. Elle met également en relief les mesures destinées à améliorer l’efficacité de l’appariement travailleurs/entreprises, qui favorisent ainsi l’adaptabilité et la résilience de la main-d’œuvre.

Pour réduire les pénuries sur le marché du travail, des mesures de politique publique porteuses de transformations s’imposent. Celles-ci doivent permettre au marché du travail de s’adapter rapidement au cycle économique, mais aussi de faire face aux défis du vieillissement, des transitions écologique et numérique et de la diffusion de l’IA. Les mesures de politique publique en faveur de l’offre de main-d’œuvre ne porteront pas leurs fruits dans l’immédiat, mais d’autres actions peuvent influer sur la composition de la main-d’œuvre actuelle et sur sa répartition entre les entreprises, permettant ainsi une plus grande réactivité sur le marché du travail à court terme.

Le tableau 1 résume les différentes mesures dont il est question ci-après, en les subdivisant en mesures qui affectent principalement l’offre de main-d’œuvre, la demande de main-d’œuvre ou leur appariement. Une distinction est en outre opérée entre les politiques pouvant être mises à profit pour adapter le marché du travail dès que possible à la nouvelle réalité des pénuries généralisées de main-d’œuvre, et celles qui peuvent anticiper les besoins futurs du marché du travail et réduire au minimum les pénuries futures. Tout au long de la section, les pénuries persistantes sont comprises comme un frein à la croissance et au déploiement productif de la main-d’œuvre dans l’économie. Cela n’exclut pas que les marchés du travail en tension puissent être une source de pouvoir de négociation temporaire pour les travailleurs et contribuer à réduire les inégalités, à améliorer la qualité des emplois et à stimuler l’activité de groupes moins attachés au marché du travail, notamment dans les marchés monopsonistiques (Naidu et Dube, 2024; OCDE, 2024a).

Les pénuries de compétences étant un aspect fondamental des pénuries de main-d’œuvre, un effort important pour accroître l’investissement dans l’enseignement et la formation s’impose pour une main-d’œuvre adaptée à la demande. La moyenne obtenue aux tests d’éducation (PISA) a chuté de 15 points entre 2009 et 2022 dans les pays de l’OCDE, avant la pandémie de COVID-19 pour un tiers. Les récentes estimations de l’OCDE indiquent que les réformes des politiques de l’éducation pourraient relever les scores au PISA de 10 points dans le pays de l’OCDE moyen. Les domaines d’action prometteurs sont l’expansion de l’éducation des jeunes enfants, l’amélioration de la qualité des enseignants, la mise en œuvre d’une aide aux devoirs structurée, et la réglementation de l’utilisation des appareils numériques en classe (Andrews, Égert et de la Maisonneuve, à paraître). En outre, la transition numérique nécessite de soutenir l’enseignement des disciplines STIM. Le Danemark, par exemple, a renforcé la coopération entre les entreprises, les établissements d’enseignement et de recherche, et les acteurs publics (Klein and Smith, 2024).

Les technologies avancées ont également fait augmenter la demande de compétences relationnelles : travail d’équipe, communication et capacité d’organisation. Les compétences cognitives et sociales sont très « rentables » sur le marché du travail, surtout lorsqu’elles sont combinées (Grundke et al., 2018; Criscuolo et al., 2021). Aux États‑Unis, la proportion d’emplois demandant des niveaux élevés d’interaction sociale a augmenté de près de 12 points de pourcentage entre 1980 et 2012 (Deming, 2017). En France, la part d’emplois demandant de fortes compétences mathématiques et sociales a grossi de plus de neuf points de pourcentage entre 1982 et 2020 (Guadalupe et al., 2022). Les changements apportés au système d’éducation peuvent avoir des conséquences importantes sur l’offre de main-d’œuvre, mais potentiellement à plus long intervalle.

L’adaptation de la main-d’œuvre actuelle nécessite une refonte des politiques d’apprentissage tout au long de la vie pour veiller à ce que les systèmes de formation soient à l’épreuve des évolutions futures et accessibles à tous. Une telle démarche augmentera à son tour l’offre de travailleurs adéquatement qualifiés sur le marché, et réduira la fréquence des inadéquations de compétences dans les entreprises. À mesure que les changements structurels en cours persisteront, une forte proportion de salariés verront évoluer les compétences et les tâches nécessaires à l’exercice de leur emploi. Cependant, 40 % d’adultes seulement suivent des formations dans une année donnée, dans les pays de l’OCDE, les travailleurs très qualifiés étant plus susceptibles de se former que les autres (OCDE, 2019b). Les pays nordiques ont depuis longtemps élaboré des systèmes solides de formation des adultes, en partie grâce à une forte coopération entre les partenaires sociaux et les institutions publiques. Les réformes menées en Autriche, Estonie, Italie, Hongrie et aux Pays-Bas ont nettement relevé le taux d’activité ces dernières décennies. Bien qu’elles varient considérablement, elles présentent certains ingrédients communs : mobilisation des parties prenantes, adaptation aux circonstances changeantes, réactivité au suivi des résultats, qualité de la formation et adéquation de ladite formation avec les besoins du marché du travail (OCDE, 2020a).

Les gouvernements doivent faire primer le financement à long terme des systèmes d’apprentissage tout au long de la vie et veiller à ce que les ressources publiques qui leur sont attribuées soient proportionnées à l’ampleur des transformations voulues. Un accès suffisant et équitable à la reconversion et au perfectionnement nécessite un investissement public. Des incitations financières publiques (subventions, incitations fiscales et prêts subventionnés) peuvent encourager les individus et les employeurs à investir pour répondre aux besoins du marché. Il faut toutefois savoir que les défaillances du marché peuvent entraîner des investissements inefficaces dans les compétences, lesquels entraînent à leur tour un décalage entre les compétences recherchées par les employeurs et les compétences acquises par les individus (OCDE, 2017a).

Il est donc essentiel d’investir non seulement dans un plus grand nombre de compétences, mais aussi dans le type adéquat de compétences. Les investissements publics doivent privilégier les programmes de formation aux emplois en tension sur le marché du travail, ou cibler les individus et les entreprises les moins enclins à se reconvertir. Les obstacles financiers peuvent être particulièrement importants pour les chômeurs et les individus peu qualifiés, ainsi que pour les PME (OCDE, 2019b). Dans de nombreuses économies de l’OCDE, les taux de financement des formations dépendent de leur intérêt par rapport aux besoins du marché du travail, ou bien les formations sont gratuites pour les chômeurs (OCDE, 2017a). Plusieurs instruments de soutien aux PME sont conçus de manière à pouvoir être élargis et faciles d’accès (subventions et chèques), ou pour accorder des conditions privilégiées aux PME (fonds de formation) (OCDE, 2019b).

L’asymétrie de l’information entrave l’investissement, des travailleurs comme des employeurs, dans la formation. Les travailleurs ne savent pas nécessairement quelles compétences sont actuellement recherchées, ou quelles possibilités d’emploi et de formation sont proposées par les employeurs. Les employeurs ne savent pas toujours quelles compétences sont disponibles sur le marché ni comment pourraient évoluer les besoins d’un emploi. Il existe bien des systèmes d’évaluation et d’anticipation des besoins en compétences dans la plupart des pays de l’OCDE, mais leur efficacité s’est avérée limitée jusqu’à présent (OCDE, 2016; 2023b). Les informations granulaires sur le marché du travail qu’il faudrait posséder font souvent défaut ou ne sont pas utilisées par les services publics de l’emploi ou par les employeurs qui recrutent. La coordination de la collecte et de l’utilisation de ces informations entre les principales parties prenantes, y compris les partenaires sociaux, doit être renforcée. De même, les outils diagnostiques au niveau des entreprises aident les dirigeants à évaluer les déficits actuels de compétences et à prédire les besoins futurs en compétences (OCDE, 2021b).

Les microcertifications, des modules de formation courts et ciblés permettant aux individus de se reconvertir et de se perfectionner rapidement, sont un moyen flexible et efficace d’acquérir certaines compétences recherchées sans s’engager dans des programmes diplômants traditionnels de longue durée. Une réaction plus rapide aux déficits de compétences qui apparaissent sur le marché du travail est ainsi possible, ce qui réduit les pénuries de talent (OCDE, 2023c; 2024c). Ces microcertifications sont aussi pour les entreprises la preuve que le candidat a investi dans sa formation dans un domaine donné.

Les entreprises sont la première source de possibilités de reconversion et de perfectionnement pour les adultes. L’investissement dans la formation de leurs effectifs les aide à s’adapter aux avancées technologiques, à intégrer les nouvelles recrues et à rester compétitives. Plus d’une entreprise sur trois faisant état de difficultés de recrutement en 2022/23 propose des formations à ses salariés pour atténuer les pénuries de main-d’œuvre (graphique 2.20). Cette proportion est à peu près la même que celle des entreprises qui offrent une plus grande flexibilité d’organisation du temps de travail, et légèrement inférieure à celle des entreprises qui envisagent d’augmenter les salaires et les primes.

Cependant, toutes les entreprises et tous les entrepreneurs n’ont pas conscience de la nécessité d’investir dans les compétences, et nombre d’entre eux n’investissent pas en amont (OCDE, 2021c). C’est le cas pour la majorité des PME (OCDE, 2019b). Par conséquent, les programmes performants combinent aide financière et non financière ; les outils non financiers (sensibilisation, contacts personnalisés avec les bénéficiaires et initiatives basées sur la chaîne de valeur) aident les entreprises à établir si elles doivent investir et comment. Enfin, la capacité des entreprises à investir dans le capital humain et à augmenter la productivité dépend avant tout des compétences du personnel de direction, et de son attitude à l’égard de l’apprentissage (Bender et al., 2018; Metcalfe et al., 2023). Le tutorat, le mentorat et l’apprentissage par les pairs parmi les dirigeants et les entrepreneurs se sont montrés efficaces pour promouvoir le partage des connaissances et encourager les entreprises à offrir des formations, en particulier les PME (OCDE, 2021d).

Le manque de mobilité des travailleurs les empêche de s’orienter vers les régions ou les secteurs dans lesquels leurs compétences sont recherchées. Lorsque des obstacles géographiques ou économiques, ou bien les politiques, empêchent les travailleurs de changer de lieu de travail ou d’emploi, les entreprises peinent à pourvoir les postes et les pénuries de main-d’œuvre s’aggravent. En 2022, ce sont essentiellement tous les secteurs qui auraient eu besoin de recruter parmi les chômeurs d’un autre secteur pour pourvoir les postes vacants (graphique 2.21). Par exemple, la proportion d’offres d’emploi qui seraient restées vacantes si tous les chômeurs du secteur des TIC ou des services professionnels étaient instantanément appariés à un emploi représente 8 à 9 % de l’emploi dans le secteur, en moyenne dans l’ensemble des pays, soit une proportion nettement plus forte qu’en 2010. Dans le secteur de la construction, en 2010, le nombre de chômeurs dépassait largement le nombre d’emplois vacants.

Les politiques actives du marché du travail (PAMT), comme les services de placement et d’orientation professionnelle, renforcent la motivation des personnes à rechercher activement et à accepter des emplois qui leur conviennent, ainsi qu’à accroître leur employabilité. Les systèmes de PAMT capables de relever les défis du marché du travail de manière agile et efficace assurent un financement adéquat des services de l’emploi, lesquels sont en mesure de renforcer leur offre pour faire face à la fois aux fluctuations cycliques et aux exigences de changements structurels comme la transition écologique (Keese et Marcolin, 2023). Elles pourraient être développées plus avant au Chili, en Irlande et en Espagne. Le manque d’informations sur les possibilités d’emploi et l’attitude négative vis-à-vis de l’apprentissage peuvent être autant d’obstacles majeurs à un changement de parcours professionnel à un âge plus avancé. L’orientation professionnelle peut aider les travailleurs et les chômeurs à faire des choix d’études, de formation et de profession constructifs. Bien développée dans de nombreux pays pour les jeunes encore scolarisés, elle demeure toutefois sous-développée pour les adultes (OCDE, 2021e). Les outils de profilage qui tiennent compte des acquis et de l’expérience des individus permettent de cibler l’aide et de réduire le coût des suppressions de postes ou des transitions professionnelles (Meghnagi et Tuccio, 2022). La numérisation des services de l’emploi peut faciliter le profilage et l’appariement des individus et des besoins en compétence des entreprises. Les programmes sectoriels sont particulièrement efficaces pour accroître l’offre de « bons emplois ». Ils sont axés sur les besoins d’employeurs particuliers et nécessitent par conséquent une bien plus grande coopération avec eux. Ils proposent par ailleurs des services personnalisés aux demandeurs d’emploi (Rodrik et Stantcheva, 2021).

Les stratégies d’activation efficaces devraient être soutenues par des systèmes de prestations de chômage et d’aide sociale qui allègent le poids financier du chômage, en offrant une aide au revenu pendant les périodes sans emploi. Ces systèmes de prestations servent souvent de mécanisme primaire de mise en relation des chômeurs avec les services de l’emploi et les programmes actifs du marché du travail, lesquels fournissent aux bénéficiaires de prestations une aide à la recherche d’emploi et diverses autres ressources. Le risque de perte de prestations motive les individus à participer activement à ces programmes (OCDE, 2018a). Les prestations liées au travail pourraient encourager plus encore les groupes marginaux à être plus pleinement actifs sur le marché du travail, par exemple en Belgique. Les systèmes de prélèvements et de prestations devraient toutefois être conçus sans parti pris implicite contre certains groupes et leurs réalités spécifiques, comme dans le cas des femmes vivant en ménage.

Les institutions du marché du travail peuvent également favoriser la mobilité des travailleurs entre les emplois, et du chômage vers l’emploi. Des pénuries sont moins probables si les travailleurs peuvent changer d’emploi sans longues périodes de chômage ou changer de lieu de travail si cela devient nécessaire. Les dispositions de protection de l’emploi influent pour beaucoup sur le taux de redéploiement de l’emploi. Elles peuvent renforcer le pouvoir de négociation des travailleurs et inciter les entreprises à internaliser, au moins en partie, les coûts sociaux de leurs décisions de recrutement et de licenciement (prestations de chômage, détresse psychosociale et chocs sur les revenus) (OCDE, 2020b). Une approche équilibrée de la législation en matière de protection de l’emploi veille à ce que les réglementations n’élèvent pas de manière excessive le coût des licenciements, tout en protégeant les travailleurs contre les contrats précaires ou les licenciements abusifs ainsi qu’en préservant l’adéquation travailleur-entreprise. Une rotation de personnel excessive ou une protection très inégale des travailleurs permanents et des travailleurs temporaires risquent de décourager l’investissement dans les compétences propres à l’entreprise et de freiner l’innovation (OCDE, 2018a). Une réglementation rigoureuse du marché du travail va de pair avec une plus forte inadéquation, car elle réduit la flexibilité du marché du travail et la capacité des entreprises à s’adapter à l’évolution des besoins en compétences (Adalet McGowan et Andrews, 2015). Il serait possible, par exemple, de réformer la protection du marché du travail en Corée et au Japon.

Les permis d’exercice d’une profession, en imposant des niveaux minimums de compétence pour exercer contre rémunération, rendent les procédures de recrutement plus coûteuses et peuvent réduire la réserve de candidats admissibles. Ils représentent ainsi un obstacle à l’entrée dans certaines professions (Bambalaite, Nicoletti et von Rueden, 2020). En Europe et aux États-Unis, environ 20 % des travailleurs possèdent un permis d’exercer (Koumenta et Pagliero, 2019). La refonte de la réglementation en matière de permis d’exercer pourrait étendre la reconnaissance des conditions d’entrée entre les juridictions, par exemple, ou prévoir une subvention publique qui couvrirait le coût des permis d’exercer dans certaines professions en tension. D’autres dispositions peuvent améliorer plus encore la mobilité de la main-d’œuvre en réduisant la concentration généralisée du marché du travail et le pouvoir de monopsone. La concurrence monopsonistique, fréquente dans les marchés du travail de l’OCDE (Araki et al., 2022), limite le nombre d’options ouvertes aux travailleurs qui souhaitent changer d’emploi. L’élargissement du champ d’action des autorités antitrust en matière d’enquête sur les fusions et les clauses de non-sollicitation, ainsi qu’un effort renouvelé pour légiférer sur ces phénomènes, peuvent faire contrepoids au pouvoir des employeurs sur le marché du travail (Araki et al., 2022). Les clauses de non-concurrence (CNC) pourraient également être repensées compte tenu du manque d’éléments prouvant qu’elles favorisent bel et bien l’innovation (Belenzon et Schankerman, 2013) alors qu’elles peuvent limiter le redéploiement des travailleurs entre employeurs du même secteur et de la même région. Promouvoir la négociation collective pourrait aussi être un moyen de restreindre le pouvoir de monopsone, en amenant les parties négociantes à internaliser la position de l’entreprise sur le marché des produits pour parvenir ainsi à un meilleur partage des rentes entre les entreprises et les travailleurs (Araki et al., 2022).

La réduction du pouvoir de monopsone des entreprises sur le marché du travail renforcerait le pouvoir de négociation des travailleurs, ce qui déboucherait sur des salaires plus élevés. Selon les observations, la concentration du marché du travail a une moindre incidence négative sur les salaires lorsque les syndicats sont plus forts (Araki et al., 2022). La réduction du pouvoir de monopsone peut aussi améliorer la qualité de l’emploi. Les travailleurs ont fui les emplois faiblement rémunérés ou les conditions de travail pénibles pendant la période de fortes tensions sur le marché du travail qui a suivi la pandémie, et cette situation pourrait perdurer (Causa et al., 2022). Une meilleure représentation des travailleurs peut aussi atténuer l’impact des pénuries de main-d’œuvre sur la qualité de l’emploi (Zwysen, 2024). Le Cadre d’analyse de la qualité de l’emploi de l’OCDE met également en relief le besoin d’action sur trois principaux aspects pour créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité : qualité du revenu d’activité, sécurité sur le marché du travail, et qualité de l’environnement professionnel (OCDE, 2018a). L’égalité des chances économiques – notamment pour les femmes, les seniors et les migrants – et la promotion du dialogue social autour de la rémunération, de l’accès à la protection sociale et des conditions de travail doivent également être renforcées (Causa et al., 2024a). Ce type de mesure peut déboucher sur la hausse du taux d’activité, de l’investissement dans le capital humain et de la productivité des entreprises, mais aussi du bien-être des travailleurs. Un nombre important d’entreprises faisant état de difficultés de recrutement envisagent d’augmenter les salaires et d’offrir une plus grande flexibilité d’organisation du travail (graphique 2.20).

L’amélioration de la rémunération et des conditions de travail permettrait également d’atténuer les pénuries dans les domaines de la santé, des soins de longue durée et de l’éducation. Ces derniers sont confrontés à des besoins qui s’amplifient sous l’effet du vieillissement et de la demande accrue de travailleurs qualifiés, mais aussi à l’augmentation constante de la proportion de travailleurs près de la retraite. Ces activités professionnelles sont généralement dominées par le secteur public, où les salaires ont tendance à être inférieurs à ceux du secteur privé. En 2018, 39 % seulement des enseignants dans les pays de l’OCDE pour lesquels on dispose de données se sont déclarés satisfaits de leur salaire, et deux tiers seulement étaient satisfaits des autres termes de leur contrat. Le sentiment que leur profession est sous-estimée par la société et la charge excessive de tâches administratives nuisent par ailleurs à l’attrait de l’enseignement (OCDE, 2020c). Pour attirer les diplômés les plus brillants vers cette filière, les pays doivent se doter d’une stratégie intégrée de développement professionnel des enseignants, comme c’est le cas en Finlande (Schleicher, 2019). La pandémie a exacerbé les pénuries de professionnels de santé dans tous les pays de l’OCDE et le vieillissement démographique fera augmenter la demande de services de santé et de soins de longue durée. Bon nombre de pays de l’OCDE prennent des mesures pour accroître leur capacité de formation, renforcer les incitations financières et améliorer les conditions de travail dans les activités ou les zones en tension (par exemple, les zones rurales) et créent de nouveaux rôles ou élargissent le rôle de certaines professions de santé ; celui des personnels infirmiers, par exemple. Certains pays recrutent activement des médecins ou des personnels infirmiers de l’étranger, ce qui risque toutefois d’exacerber les pénuries dans les pays d’origine (Lafortune et Levy, 2023).

Un meilleur accès au logement peut améliorer l’appariement sur le marché du travail en facilitant la mobilité des travailleurs, même si les gains ainsi possibles sont limités lorsque les marchés du travail sont en tension plus ou moins partout. Aux États‑Unis, les tensions sur le marché du travail sont un phénomène national, mais les pénuries varient considérablement entre les États (Fuller et Jefferson, 2023). D’importantes différences de pénuries de main-d’œuvre sont également observées entre les régions en France, en Espagne et en Italie (Causa, 2024a). Les différences de pénuries de main-d’œuvre entre les pays de l’Union européenne ouvrent des possibilités d’appariement transfrontalier entre travailleurs et employeurs, surtout dans le secteur de la construction (EURES, 2023). Les difficultés d’accès au logement gênent également l’intégration des immigrés. Dans de nombreux pays de l’OCDE, les travailleurs immigrés sont plus susceptibles de vivre dans des zones de ségrégation, où le logement et les conditions de vie de manière plus générale sont médiocres (Causa et al., 2024a).

Le logement est de moins en moins accessible financièrement dans de nombreux pays de l’OCDE, faisant ainsi obstacle à la mobilité résidentielle et professionnelle, et plus particulièrement aux transferts vers les agglomérations les plus dynamiques et les plus productives (Ganong et Shoag, 2017; Cavalleri, Luu et Causa, 2021). L’assouplissement de règles d’occupation des sols excessivement restrictives, tout en préservant la viabilité de l’environnement et l’inclusion sociale, pourrait accroître la réactivité de l’offre de logement à la demande, atténuer les tensions à la hausse exercées sur les prix et rendre le logement plus abordable. C’est le cas, par exemple, en Suède. La réduction de l’étalement urbain améliorerait aussi la mobilité de la main-d’œuvre dans certains pays, comme l’Afrique du Sud9. Le logement social peut faciliter la mobilité des ménages à faible revenu, à condition que les règles d’admissibilité soient conçues de manière à éviter les effets de verrouillage. Les aides au logement peuvent elles aussi favoriser la mobilité, mais elles risquent d’être en grande partie capitalisées dans les loyers si l’offre est tendue. Les coûts de transaction élevés, l’encadrement excessivement rigoureux des loyers et des dispositions régissant la relation locataire/propriétaire, ainsi que le coût des permis de construire font obstacle à la mobilité de la main-d’œuvre et à l’adéquation des compétences (OCDE, 2021f).

Le mouvement vers des zones à moindre densité et vers le télétravail initié pendant la pandémie, qui persistera probablement en partie, pourrait faciliter la mobilité professionnelle en élargissant l’éventail des choix de localisation (Liu et Su, 2021; Ziemann et al., 2023). Les politiques en faveur du télétravail permettent aux travailleurs d’accepter un emploi indépendamment de la localisation de l’employeur. Cependant, pour mobiliser efficacement les politiques de télétravail, les enjeux actuels doivent être pris en main. Le télétravail est aujourd’hui davantage accessible aux travailleurs très instruits, employés dans de grandes entreprises, dans les zones urbaines, et disposant d’une connectivité numérique de bonne qualité, cette dernière étant indispensable.

Les politiques d’action sur la demande visant à renforcer l’adoption des technologies, la croissance de la productivité ou la transition vers une économie plus verte peuvent accroître les tensions sur le marché du travail en augmentant la demande de main-d’œuvre ou de certaines compétences actuellement peu disponibles. Des pénuries de main-d’œuvre plus aiguës sont possibles pour les entreprises en croissance et pour celles qui ont davantage tendance à investir dans des technologies demandant des compétences nouvelles ou différentes. Par conséquent, les actions des pouvoirs publics en soutien de la croissance de la productivité devraient également tenir compte des possibles effets de débordement négatifs sur les déséquilibres du marché du travail, et veiller à l’activation de politiques complémentaires pour réduire au minimum les contraintes du côté de l’offre.

L’effet de l’évolution démographique peut être atténué par des taux d’activité plus élevés, à condition qu’ils se traduisent par une hausse de l’emploi. Le taux d’activité dans les pays de l’OCDE a chuté à la suite de la pandémie de ; un constat qui s’explique notamment par la piètre qualité des conditions de travail, surtout dans quelques secteurs essentiels comme la santé et l’action sociale. Les conditions de travail demeureront probablement un frein à l’emploi dans certains secteurs, mais la baisse du taux d’activité s’est progressivement inversée et le taux d’activité moyen dans l’OCDE a ensuite atteint son plus haut niveau historique en 2024. La plupart des pays sont proches d’un taux d’activité au plus haut niveau, les exceptions les plus notables étant les États‑Unis et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni.

Néanmoins, certains pays affichent encore un faible taux d’emploi des seniors, des jeunes ou des femmes, indiquant que l’offre de main-d’œuvre peut être renforcée. Dans la plupart des cas, l’effet du vieillissement sur le ratio emploi-population dans les prochaines décennies pourrait être plus que compensé en atteignant le taux d’emploi des pays de l’OCDE les plus performants dans tous les groupes d’âge et de genre (graphique 2.22). Pour les hommes, le potentiel d’emploi est largement concentré à des âges plus avancés. Les perspectives d’allongement des carrières professionnelles des hommes paraissent particulièrement fortes en Europe méridionale et en Türkiye. En moyenne, il est davantage possible d’augmenter l’emploi féminin que l’emploi masculin. Bon nombre de pays pourraient augmenter l’emploi des femmes, à l’âge très actif et à un âge avancé. C’est le cas, plus particulièrement, en Amérique latine, en Europe méridionale et en Türkiye.

La hausse du taux d’emploi des dernières décennies a en grande partie été portée par les seniors, le taux d’activité moyen des 55-64 ans dans les pays de l’OCDE ayant augmenté de près de 18 points de pourcentage depuis 1994, et de neuf points de pourcentage depuis 2010. Ces chiffres traduisent un meilleur état de santé, des niveaux d’instruction supérieurs, le recul des emplois physiquement pénibles, ainsi que le renforcement des incitations à continuer de travailler à un âge plus avancé au gré des réformes des retraites et des réformes fiscales. Pour que cette progression du taux d’activité se poursuive, il faudra promouvoir le vieillissement en bonne santé (Oxley, 2009; Kotschy et Bloom, 2023), notamment en garantissant l’égalité d’accès aux soins de santé et en investissant dans l’hygiène et la sécurité au travail (OCDE, 2017b) ; lutter contre les discriminations à l’égard des seniors (OCDE, 2019c) ; renforcer l’apprentissage tout au long de la vie afin d’éviter l’érosion des compétences au fur et à mesure de l’accélération de l’évolution technologique (OCDE, 2019b) ; favoriser des conditions de travail adaptées aux besoins des personnes d’un âge plus avancé, notamment la flexibilité du temps de travail et le télétravail (André, Gal et Schief, 2024) ; et renforcer encore les incitations financières à travailler plus longtemps (OCDE, 2023d). En complément des réformes des retraites, les pouvoirs publics devraient encourager l’activité des seniors en favorisant la flexibilité lors du passage entre vie active et retraite, notamment en permettant de combiner une pension et un revenu d’activité (OCDE, 2023e).

La plupart des pays pourraient également accroître le taux d’activité des groupes plus jeunes, surtout des femmes. Faciliter l’intégration des femmes et des jeunes sur le marché du travail peut atténuer les pénuries de main-d’œuvre tout en réduisant les inégalités. L’écart d’emploi moyen entre les genres dans les pays de l’OCDE s’établissait encore à presque 14 points de pourcentage en 2023, avec des différences marquées entre les pays. Dans certains pays, les femmes ont encore des difficultés à trouver des emplois à la hauteur de leurs qualifications et pâtissent souvent d’une pénalité de rémunération liée à la maternité (Kleven et al., 2019). Diverses mesures de politique publique peuvent soutenir l’emploi des femmes et réduire les écarts entre les genres : améliorer l’accès à des services de garde d’enfants de qualité à un prix abordable, favoriser un partage plus équitable du congé parental (par exemple en Autriche et en Italie), instaurer des dispositifs de recyclage et perfectionnement des compétences au retour du congé parental, encourager l’égalité entre les genres dans les entreprises, mettre en place des programmes d’intégration des femmes nées à l’étranger, favoriser l’entrepreneuriat des femmes et leur inclusion financière, et rééquilibrer la fiscalité en faveur des seconds apporteurs de revenu. Certaines de ces mesures peuvent également avoir pour conséquence de favoriser la fécondité et d’accroître l’offre de main-d’œuvre (André et al., 2023). Les femmes sont généralement sous-représentées dans les métiers des TIC, un secteur porteur d’emplois de qualité qui pâtit souvent de pénuries de main-d’œuvre et de compétences. L’Autriche, la Belgique, la Pologne et la République slovaque ont mis en place des mesures visant à encourager les femmes à faire des études en TIC et à poursuivre des carrières dans cette filière (Eurofound, 2023).

Le taux de chômage moyen des jeunes dans les pays de l’OCDE s’établissait à 11 % en juillet 2024, soit plus du double du taux de chômage global de 5 %. Il dépassait 20 % dans 10 pays. Plus de 12 % des 15-29 ans étaient sans emploi et sortis du système éducatif en 2022, même si cette proportion connaît une baisse tendancielle depuis dix ans. Par conséquent, accroître l’emploi des jeunes est non seulement possible, mais crucial pour atténuer les pénuries de main-d’œuvre à court terme, constituer une main-d’œuvre qualifiée et réduire les inégalités et l’exclusion sociale (OCDE, 2013). Comme indiqué plus haut, il faut améliorer les résultats scolaires. Le passage de l’école à la vie active doit être facilité, notamment au moyen de programmes de la seconde chance pour les jeunes ayant abandonné leurs études sans diplôme de l’enseignement secondaire, et par le biais d’apprentissages et de stages de qualité (OCDE, 2018a). Par exemple, en 2016, la France a mis en œuvre un programme destiné à aider les jeunes sans emploi et sortis du système éducatif à accéder aux métiers des TIC (Eurofound, 2023). Orienter l’aide vers les jeunes permettrait de faciliter le passage de l’école à la vie active et d’atténuer les pénuries de compétences techniques et professionnelles au Royaume-Uni. La formation et les apprentissages dans les secteurs en forte pénurie de main-d’œuvre devraient être une priorité en Irlande10.

Le solde migratoire a considérablement contribué à la croissance démographique dans la majorité des pays de l’OCDE en dix ans. Les flux nets d’immigration ont été particulièrement importants en Australie, au Canada, au Luxembourg, en Nouvelle‑Zélande et en Suède. Inversement, la Lettonie, la Grèce et la Lituanie ont pâti de flux nets d’émigration (graphique 2.23), malgré une inversion récente en Lituanie. L’immigration de type permanent dans les pays de l’OCDE a atteint son plus haut niveau en 2023, à 6.5 millions sans compter les réfugiés ukrainiens. Ce chiffre représente une hausse de 28 % par rapport à 2019 et de 54 % par rapport à 2013 (OCDE, 2024d). Bien que l’immigration ne compense généralement pas entièrement le vieillissement démographique, elle peut contribuer fortement à atténuer les pénuries de main-d’œuvre à court et moyen terme, à condition que les compétences des immigrés puissent être mises en adéquation avec les besoins du marché du travail au moyen de politiques d’immigration et d’intégration bien pensées. Par exemple, la mise en œuvre d’une stratégie d’immigration ciblée pourrait atténuer les pénuries de main-d’œuvre en Pologne11. L’immigration de travail a plus que doublé depuis 2014 dans les pays de l’OCDE et représentait un cinquième de l’immigration de type permanent en 2023 (OCDE, 2024d). Une forte augmentation de l’immigration a dopé la croissance économique aux États-Unis à la suite de la pandémie (Dynan, 2024). L’émigration de travailleurs qualifiés risque cependant de priver les pays d’origine de ressources humaines nécessaires (Jensen et al., 2019).

Les politiques publiques doivent favoriser efficacement l’activité des immigrés. Le taux d’emploi des hommes nés à l’étranger dans les pays de l’OCDE est en moyenne plus élevé que celui des hommes nés dans le pays, sachant toutefois que des différences prononcées sont observées d’un pays à l’autre. En revanche, le taux d’emploi des femmes nées à l’étranger est inférieur à celui des femmes nées dans le pays dans la plupart des pays de l’OCDE (graphique 2.24). La pénalité de rémunération liée à la maternité est particulièrement élevée pour les femmes nées à l’étranger. En moyenne dans les pays de l’OCDE, environ la moitié des mères de jeunes enfants (jusqu’à quatre ans) immigrées sont employées, soit 20 points de pourcentage de moins que les femmes nées dans le pays. L’écart est le plus marqué en Allemagne, Belgique, France et Slovénie (plus de 30 points de pourcentage) et le moins marqué en Hongrie, en Tchéquie, au Chili et au Costa Rica (10 points de pourcentage ou moins). Plusieurs facteurs contribuent à ce résultat, notamment une plus courte période d’activité avant la maternité et la surreprésentation des femmes dans les professions élémentaires offrant peu d’incitations financières ou d’aides publiques au retour au travail après la naissance d’un enfant. Le facteur principal est toutefois souvent une moindre utilisation des services formels de garde d’enfant (OCDE, 2023f). Un meilleur accès à des services de garde d’enfant d’un prix abordable pourrait contribuer à élever le taux d’emploi des mères de famille tout en étant bénéfique pour les enfants, l’enseignement préélémentaire de qualité pouvant être un facteur déterminant de leur développement, surtout dans le cas des enfants issus de milieux socioéconomiques modestes (OCDE, 2018b). Les programmes qui vont vers les immigrées, les stages d’intégration, les formations et autres politiques actives du marché du travail peuvent également améliorer leur intégration économique et sociale (OCDE, 2020d).

La concurrence pour les talents s’est intensifiée, même si les immigrés dans les pays de l’OCDE continuent en moyenne d’avoir un niveau d’études inférieur à celui de la population née dans le pays. De plus en plus, les pouvoirs publics mettent en œuvre des politiques d’immigration de travail pour des compétences, des professions et des secteurs précis (OCDE, 2023f). Par exemple, Le programme australien d’immigration qualifiée vise à pourvoir les emplois pour lesquels le pays ne dispose pas de travailleurs australiens. Au cours des quelques dernières années, l’Autriche et la Région flamande de Belgique ont allongé leur liste des professions en pénurie. La Suisse a pour sa part assoupli ses règles d’immigration pour les travailleurs qualifiés. Le Canada, l’Espagne et le Japon ont assoupli les règles d’immigration pour les personnes très qualifiées dans le domaine des TIC (OCDE, 2023f).

Les politiques publiques doivent aider les immigrés à obtenir des emplois à la hauteur de leurs qualifications. Ils occupent souvent des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés, même après plusieurs années dans le pays d’accueil. Il faut, pour remédier à ce problème, assurer une meilleure reconnaissance des qualifications étrangères (par exemple au Canada), encourager et faciliter l’apprentissage de la langue, mais aussi lutter contre les discriminations (OCDE/ Union européenne, 2014). Des mesures spécifiques peuvent faciliter l’intégration des immigrés dans les secteurs en pénurie de main-d’œuvre. Plusieurs pays, dont l’Autriche, la Corée, l’Espagne et la Suisse, ont mis en place des cours de langue dans des secteurs en tension (OCDE, 2023f). L’Allemagne a aussi instauré un programme de cours numériques gratuits pour les immigrés, les demandeurs d’asile, les réfugiés et autres citoyens sans accès à l’enseignement numérique ou à un réseau professionnel en 2015 (Eurofound, 2023).

Les marchés du travail se détendent après une période de fortes tensions pendant la reprise consécutive à la pandémie de COVID‑19, mais les pénuries de main-d’œuvre persistent et sont particulièrement aiguës dans le cas des travailleurs très qualifiés et des professions faiblement rémunérées et pénibles. Les jeunes entreprises et celles à faible productivité se heurtent à des pénuries plus graves que les entreprises plus établies et plus productives. Ces dernières ont néanmoins tendance à faire état de difficultés de recrutement de professionnels hautement qualifiés, une situation qui n’est probablement pas sans rapport avec l’évolution des besoins en compétences sous l’effet des transitions numérique et écologique, pour lesquelles la disponibilité de travailleurs compétents revêt une importance critique. Parallèlement, le vieillissement démographique et le faible taux de fécondité pèseront de plus en plus sur l’offre de main-d’œuvre dans les années à venir.

Les politiques publiques jouent un rôle essentiel dans l’atténuation des pénuries de main-d’œuvre. Une politique de renforcement du système d’enseignement et de formation fournirait aux entreprises les ressources humaines dont elles ont besoin pour leur développement, et ouvrirait de meilleures perspectives d’emploi aux travailleurs. Dans les professions faiblement rémunérées et pénibles, l’amélioration de la qualité de l’emploi, c’est-à-dire des salaires, des conditions de travail et de la sécurité au travail, de la flexibilité et de la sécurité de l’emploi, sera nécessaire pour faire face aux pénuries. Des politiques du marché du travail pouvant faciliter la mobilité et l’adéquation offre/demande de main-d’œuvre sont également essentielles. Il est possible d’élever le taux d’activité de tous les groupes d’âge, notamment en améliorant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. L’immigration peut aussi atténuer les pénuries de main-d’œuvre, à condition que des politiques d’intégration efficaces soient en place. En période de progrès technologique rapide, une meilleure mobilisation des ressources humaines et des compétences demeurera cruciale pour la croissance économique et le bien-être.

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