Ce chapitre présente une analyse détaillée de l’évolution des indicateurs liés aux ressources dont disposent les autorités de la concurrence pour assurer une application efficace du droit de la concurrence.
Tendances de l’OCDE sur la concurrence 2025 (version abrégée)

1. Coup de projecteur : tendances en matière de ressources
Copier le lien de 1. Coup de projecteur : tendances en matière de ressourcesAbstract
Le présent chapitre s’intéresse de près à l’évolution des ressources des autorités de la concurrence. On y examine la tendance générale à la hausse des budgets et des effectifs moyens des autorités de la concurrence, ainsi que les raisons qui pourraient expliquer cette tendance. Le caractère suffisant des ressources n’étant pas évalué, aucune des conclusions pouvant être tirées de ce chapitre ne signifie que les autorités de la concurrence disposent de ressources suffisantes pour veiller à l’application efficace du droit de la concurrence. Le choix de ce thème tient au fait que cette évolution tendancielle à la hausse est l’une des tendances les plus persistantes observées dans la base de données CompStats et qu’elle est liée à plusieurs thématiques plus générales de la politique de la concurrence.
Les évolutions économiques récentes, telles que la mondialisation, le recours accru aux technologies, la réglementation sectorielle, la concentration croissante des marchés et le changement climatique, ont influé sur la façon dont les autorités de la concurrence travaillent (OCDE, 2023[1]). Qu’il s’agisse des ressources qu’elles utilisent pour détecter des pratiques anticoncurrentielles et enquêter à leur sujet, ou de la façon dont elles promeuvent une culture de la concurrence, les autorités s’efforcent de s’adapter à l’évolution des marchés.
En 2023, les budgets et les effectifs moyens consacrés à la concurrence ont augmenté dans les juridictions membres et non membres de l’OCDE couvertes par la base de données CompStats. En moyenne, les budgets ont augmenté de 10.7 % en termes nominaux et de 4.7 % en valeur réelle. Cette augmentation des budgets consacrés à la concurrence s’inscrit dans une tendance sur longue période, comme on peut le voir dans le Graphique 1.1.
Graphique 1.1. Budget réel moyen des autorités de la concurrence en euros, 2015-23
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Note : données basées sur les 60 juridictions incluses dans la base de données CompStats de l’OCDE qui ont fourni des données sur le budget des autorités de la concurrence pour les neuf années. Les budgets sont corrigés des taux de change du 31 décembre 2015 et des taux d’inflation de chaque juridiction.
Source : base de données CompStats de l’OCDE.
Toutefois, si l’on examine les budgets par juridiction, on constate que les ressources financières dont disposent les autorités de la concurrence n’ont pas augmenté dans toutes les juridictions. On observe des coupes budgétaires en termes réels dans 25 juridictions, et même des réductions en termes nominaux dans 14 d’entre elles.
Graphique 1.2. Variation en pourcentage des budgets consacrés à la concurrence par juridiction, 2022-23
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Note : données basées sur les 60 juridictions incluses dans la base de données CompStats de l’OCDE qui ont fourni des données sur le budget des autorités de la concurrence pour les années 2022 et 2023. Les budgets sont corrigés des taux de change du 31 décembre 2015 et des taux d’inflation de chaque juridiction.
Source : base de données CompStats de l’OCDE.
Dans 43 des 65 juridictions, les effectifs des autorités de la concurrence ont augmenté ou sont restés stables au cours de la période 2022-23. La plus forte hausse des effectifs a été observée dans les juridictions non membres de l’OCDE (4.9 %, contre 2.6 % dans les juridictions membres). En 2023, 9 224 personnes au total étaient affectées à des dossiers de concurrence dans ces 65 juridictions, contre 8 951 en 2022 pour le même groupe. En 2023, la croissance annuelle moyenne des effectifs des autorités de la concurrence était de 3.1 %.
Graphique 1.3. Effectifs moyens des autorités de la concurrence, 2015-23
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Note : données basées sur les 65 juridictions incluses dans la base de données CompStats de l’OCDE qui ont fourni des données sur les effectifs des autorités de la concurrence pour les neuf années.
Source : base de données CompStats de l’OCDE.
Comme on peut le voir dans le Graphique 1.4, la tendance à l’augmentation des effectifs des autorités de la concurrence n’est pas observée dans toutes les juridictions couvertes par la base de données, 29 autorités ayant vu leurs effectifs stagner ou diminuer. Faute de ressources suffisantes, certaines autorités peuvent avoir particulièrement du mal à faire en sorte de disposer d’un nombre suffisant d’agents qualifiés pour continuer à assurer une application efficace du droit de la concurrence dans un environnement souvent de plus en plus complexe. Cette diminution peut également s’expliquer par des circonstances propres à chaque juridiction et se révéler temporaire.
Graphique 1.4. Variation en pourcentage des effectifs des autorités de la concurrence par juridiction, 2022-23
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Note : données basées sur les 65 juridictions incluses dans la base de données CompStats de l’OCDE qui ont fourni des données sur les effectifs des autorités de la concurrence pour les années 2022 et 2023.
Source : base de données CompStats de l’OCDE.
S’agissant du lien entre les effectifs et les budgets, le Graphique 1.5 montre que dans un grand nombre de juridictions (33 sur 58), les variations des effectifs concordaient avec les variations (positives ou négatives) des budgets. Toutefois, dans les 25 autres juridictions, les variations des deux ressources n’étaient pas corrélées positivement. La corrélation globale entre les deux variables s’avère positive, mais faible (0.33).
Graphique 1.5. Variation en pourcentage des effectifs et du budget réel des autorités de la concurrence par juridiction, 2022-23
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Note : données basées sur les 60 juridictions incluses dans la base de données CompStats de l’OCDE qui ont fourni des données sur les effectifs et le budget des autorités de la concurrence pour les années 2022 et 2023.
Source : base de données CompStats de l’OCDE.
Globalement, les ressources disponibles à l’échelle mondiale à l’appui de l’application du droit de la concurrence ont incontestablement augmenté et ce chapitre examine quelques-unes des principales raisons qui pourraient expliquer cette évolution. L’augmentation constante observée pourrait tenir à un accroissement des efforts volontaristes engagés pour détecter des infractions potentielles et enquêter sur celles-ci, à un renforcement des pouvoirs en matière d’application du droit de la concurrence et de promotion de la concurrence, et à la complexité accrue des enquêtes.
Lors de la récente table ronde sur la conception, l’organisation et les pouvoirs optimaux des autorités de la concurrence (OCDE, 2023[1]), les participants se sont penchés sur des questions telles que l’évolution des compétences et des ressources dont une autorité de la concurrence moderne a besoin pour réagir face aux évolutions et aux défis économiques et s’y adapter (voir Encadré 1.1). L’intensification et la spécialisation accrue des activités d’enquête pourraient expliquer en partie l’augmentation des effectifs des autorités de la concurrence qui a été observée ces dernières années dans certaines juridictions. Les effectifs indiqués dans la base de données CompStats comprennent l’ensemble des spécialistes de la concurrence, y compris les spécialistes des données travaillant dans des unités distinctes mises en place par les autorités de la concurrence, et les analystes des données ou spécialistes informatiques recrutés au sein d’autres unités.
Encadré 1.1. Conception, organisation et pouvoirs optimaux des autorités de la concurrence
Copier le lien de Encadré 1.1. Conception, organisation et pouvoirs optimaux des autorités de la concurrenceEn 2023, le Groupe de travail no 3 sur la coopération et l’application de la loi du Comité de la concurrence de l’OCDE s’est réuni pour examiner la conception, l’organisation et les pouvoirs optimaux des autorités de la concurrence. L’une des premières conclusions tirées par les autorités de la concurrence des juridictions membres de l’OCDE a été de reconnaître la nécessité d’acquérir une expertise dans des domaines autres que le droit et l’économie. Bien que le cadre institutionnel et organisationnel des autorités de la concurrence varie d’une juridiction à l’autre, celles-ci ont reconnu que pour s’adapter aux contraintes et aux évolutions récentes, il est essentiel de disposer d’un nouvel éventail de compétences. Cela inclut principalement des experts en stratégie commerciale, des connaissances spécialisées sur certains secteurs, ainsi que du personnel informatique spécialisé en science et technologie des données.
La note de référence de l’OCDE utilisée pour nourrir pour la discussion présentait de nombreux exemples de solutions mises en œuvre par les autorités de la concurrence pour répondre aux besoins en nouvelles compétences. En 2023, la moitié des autorités de la concurrence des juridictions membres de l’OCDE avaient mis en place une unité dédiée aux données, et plus de 40 % d’entre elles avaient nommé un responsable des données et des technologies. Cette évolution répond à la nécessité de renforcer les effectifs.
Source : OCDE (2023[2]), « The Optimal Design, Organisation and Powers of Competition Authorities », OECD Roundtables on Competition Policy Papers, no 304, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/dea26a24-en
L’utilisation croissante d’outils plus sophistiqués justifie aussi la nécessité de disposer de nouvelles compétences. Par exemple, pour détecter plus efficacement les comportements anticoncurrentiels, les autorités de la concurrence ont recours à de nouveaux outils d’enquête. Cependant, leur adoption ne va pas sans poser de difficultés liées à la nécessité d’obtenir de nouvelles ressources ou d’adapter les ressources existantes (OCDE, 2020[3]). Elles font également appel à des techniques de criminalistique numérique avancées pour faciliter l’acquisition et l’analyse des preuves, nécessitant l’utilisation de méthodes de collecte d’informations à partir de sources telles que les services infonuagiques en ligne. Cette tendance s’est accentuée en raison des nouvelles modalités de travail imposées par la pandémie de COVID-19.
Certaines autorités mettent également au point des méthodes empiriques fondées sur des ensembles de données (appelées outils de filtrage des données) afin d’évaluer le comportement des entreprises et d’identifier des schémas. Le développement et l’utilisation de tels outils requièrent probablement des connaissances spécifiques en informatique et en gestion des données, compétences que les autorités de la concurrence ne possédaient pas auparavant (voir Encadré 1.2 pour les recherches récentes de l’OCDE sur le sujet). Bien que leur utilisation semble actuellement exiger davantage de personnel, il serait pertinent d’évaluer si des outils de filtrage numérique performants pourraient également limiter le besoin en ressources humaines affectées à la détection des comportements anticoncurrentiels.
Encadré 1.2. Outils de filtrage des données utilisés dans les enquêtes de concurrence
Copier le lien de Encadré 1.2. Outils de filtrage des données utilisés dans les enquêtes de concurrenceEn 2022, l’OCDE a organisé une table ronde sur les outils de filtrage de données utilisés dans les enquêtes sur la concurrence. Les participants ont analysé les évolutions récentes des outils de filtrage numérique développés par les autorités de la concurrence, et principalement utilisés pour détecter les ententes. Ils ont également échangé sur les adaptations des procédures d’enquête résultant de l’utilisation de ces filtres.
Les travaux de l’OCDE, utilisés pour étayer les discussions, ont révélé que les autorités de la concurrence se trouvent à divers stades de développement et d’application des outils de filtrage. Ils ont montré que bien que les premiers filtres aient été principalement conçus par des économistes, les autorités de la concurrence développent et utilisent désormais des filtres plus sophistiqués. Ces nouveaux filtres résultent d’une collaboration entre spécialistes des technologies et économistes pour analyser les données.
Ils ont aussi mis en évidence que la coopération entre les autorités de la concurrence pouvait leur permettre de gagner du temps et d’économiser des ressources. En effet, le développement et la mise en œuvre d’outils de filtrage de données nécessitent souvent l’acquisition massive de compétences et d’ensembles de données, entraînant des besoins en ressources plus importants. Cette coopération pourrait prendre la forme d’un partage d’expertise technique, d’expériences, ainsi que de codes et, dans certaines conditions, même de données.
Source : OCDE (2022[4]), « Data Screening Tools for Competition Investigations », OECD Roundtables on Competition Policy Papers, no 284, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/4c5bbb9d-en.
La deuxième raison pouvant expliquer l’augmentation généralisée des ressources allouées à l’application du droit de la concurrence tient à la complexité croissante des enquêtes. Ces dernières années, il est apparu avec plus de netteté que l’importance de plus en plus marquée de la technologie, de la transformation numérique et de la mondialisation a également complexifié l’application du droit de la concurrence. De récents travaux menés par l’OCDE se sont penchés sur les questions complexes examinées par les autorités. Cela inclut notamment des considérations relatives à l’innovation (OCDE, 2023[5]), les aspects qualitatifs des marchés sans contrepartie monétaire, les nouvelles théories du préjudice, par exemple sur les marchés numériques (OCDE, 2023[6]) et les questions environnementales et de durabilité (OCDE, 2021[7]).
Du fait de la complexité accrue des infractions, les autorités peuvent avoir plus de mal à démontrer leur existence, en particulier lorsqu’elles doivent prouver l’impact sur la concurrence. L’utilisation de preuves indirectes et d’analyses économiques pour démontrer les infractions requiert également des efforts supplémentaires et nécessite un renforcement de l’expertise technique. Parallèlement, l’autorité judiciaire de contrôle voit ses pouvoirs évoluer et doit désormais examiner des théories de plus en plus complexes et en constante évolution. Des discussions ont eu lieu pour déterminer si un examen judiciaire plus rigoureux nécessite aussi d’augmenter les ressources allouées aux autorités de la concurrence pour leur permettre de satisfaire au critère d’établissement de la preuve (OCDE, 2024[8]).
Pour alléger ce qui semble être alourdissement de la charge de présentation de la preuve, des discussions actives sont en cours sur les stratégies que les juridictions pourraient adopter. Celles-ci incluent une modification de l’équilibre dans le sens d’un plus grand nombre des règles per se, l’adoption de présomptions ou la mise en œuvre d’approches réglementaires ex ante (voir, par exemple, l’inventaire du G7 des nouvelles règles applicables aux marchés numériques préparé par l’OCDE (2024[9]). Souvent, ces nouvelles règles sont ensuite appliquées par les autorités de la concurrence. En fonction de leur cadre institutionnel, certaines autorités de la concurrence choisissent de constituer des équipes spécialisées pour appliquer leurs nouveaux pouvoirs, tandis que d’autres privilégient le renforcement de leurs équipes existantes. Parmi les autres solutions envisageables pour faire face à la complexité croissante de l’application du droit de la concurrence figurent le renforcement des pouvoirs d’enquête et de sanction destinés à réprimer les comportements anticoncurrentiels existants, ainsi que l’accroissement des ressources et du temps alloués à chaque affaire.
Il y a quelques années par exemple, seules quelques juridictions, telles que l’Afrique du Sud, la Grèce, l’Islande, Israël, le Mexique et le Royaume-Uni, disposaient de cadres juridiques permettant aux études de marché de déboucher sur des mesures correctives ou des recommandations contraignantes. D’autres juridictions les ont cependant récemment adoptées ou ont engagé des discussions en ce sens. On peut citer l’Allemagne et l’Italie qui les ont adoptées en 20231, et le Danemark en 20242.
Tous les nouveaux pouvoirs récemment acquis par les autorités de la concurrence pourraient exiger des ressources supplémentaires, notamment en personnel.
Enfin, l’augmentation du budget et des effectifs des autorités de la concurrence peut aisément s’expliquer par le renforcement des capacités des nouvelles autorités de la concurrence, notamment dans des juridictions non membres de l’OCDE, ou par les mesures prises par les autorités en réponse aux évolutions de leurs régimes de concurrence, les conduisant à réorganiser et étoffer leurs équipes. Dans certaines juridictions, les régimes de concurrence ont fait l’objet de modifications importantes en 2022 et 2023, aboutissement à un renforcement et à une réorganisation des moyens alloués aux autorités, voire à une réorganisation de leur structure institutionnelle.
En résumé, plusieurs raisons peuvent expliquer cette tendance générale à l’augmentation des ressources, notamment :
les autorités s’efforcent toujours plus de détecter de manière volontariste les comportements anticoncurrentiels ;
l’établissement de la preuve d’une infraction se veut de plus en plus complexe ;
des pouvoirs/responsabilités supplémentaires sont conférés aux autorités de la concurrence ;
l’autorité est renforcée si le régime est nouveau ou en cours de restructuration.
Des recherches supplémentaires seraient nécessaires pour déterminer si ces facteurs sont les principaux moteurs de l’augmentation des ressources et, le cas échéant, si cet accroissement se traduira à l’avenir par un renforcement des activités d’application du droit de la concurrence.
Notes
Copier le lien de Notes← 1. Adoptées en Allemagne en novembre 2023 en vertu de la 11e modification de la Loi allemande sur la concurrence (GWB). Voir : https://www.gesetze-im-internet.de/englisch_gwb/index.html. En Italie, adoptées en août 2023 en application du décret-loi no 104.
← 2. La Loi modifiée sur la concurrence est entrée en vigueur le 1er juillet 2024.